Croire et savoir est un des enjeux, face aux allégations nombreuses qui fleurissent au rythme des phases de la pandémie. Les différentes réactions des raoultiens, des philippistes, ou des autres, sont devenues une marque identitaire, à chaque information qui nous est communiquée. Or, la vérité est une affirmation, non une alternative. Que l’on soit d’obédience scientifique ou pas, que l’on soit médecin ou pas, faire l’effort d’analyser nos réactions face aux doutes et aux certitudes des propositions d’informations que nous devons intégrer, nous sera utile.
Une vérité scientifique est une proposition construite par un raisonnement rigoureux, et vérifiée par l’expérience. Pour cette raison, elle est réutilisable par d’autres scientifiques, qui pourront à partir d’elle énoncer d’autres propositions de ce type.
La définition d’une vérité scientifique doit néanmoins être tempérée. Les propositions reposent souvent sur des consensus d’experts établis par convention, sur des questions pour lesquelles il n’y a pas assez d’éléments pour répondre. Différentes affirmations peuvent faire l’objet d’une controverse scientifique en attendant qu’un élément nouveau tranche définitivement.
La pandémie au COVID19 a été la parfaite illustration d’une science sans cesse évoquée, et heureusement imparfaite.
L’idée que la science permette d’accéder à une forme de vérité, est présente aussi bien chez les philosophes, chez une partie du grand public, que chez les scientifiques. Ainsi, le sous-titre du « discours de la méthode » de Descartes est « pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences ». La vérité scientifique, pour mériter ce nom, ne doit pas dépendre d’une idéologie, d’un contexte politique, ou d’un besoin psychologique. Nombreux sont ceux qui s’expriment, publiquement ou intimement, parce qu’ils savent, ou parce qu’ils croient savoir.
On peut alors se demander si le savoir a-t-il plus de valeur que la croyance ? Est-ce que le savoir et la croyance peuvent porter sur les mêmes objets ?
Qu’est-ce que croire ?
Croire c’est donner son assentiment à une hypothèse, avant de pouvoir vérifier ou infirmer sa légitimité ; par exemple, je crois que ce médicament est efficace. Mais, cette croyance se fonde sur des indices palpables dans le réel ; je suis médecin, il y a des précédents avec l’utilisation de ce médicament, son mécanisme d’action collerait à notre objectif…
Croire est un fait subjectif et psychologique. Cet assentiment est lié à des causes, et non à des raisons (je crois que la pathologie est grave, donc ce médicament pourrait fonctionner). Ici, la croyance se fonde sur un mélange de désir, de volonté, d’histoire personnelle, de tempérament (la reconnaissance de l’autorité, de l’éloquence, l’adhésion à un discours sur des expériences vécues et réussies etc).
La foi qui peut se distinguer de la croyance parce qu’elle implique une dimension affective de confiance et d’amour associée à une décision mue par la volonté, et elle porte sur un être dont l’existence ne pourra jamais être vérifiée empiriquement. Par conséquent, la foi ne demande jamais à être infirmée ou validée, elle est d’un autre ordre que la supposition ou le simple sentiment (je crois en Dieu). On voit ici que dire « Je crois que ce traitement est efficace » et « Je crois en Dieu » sont deux expressions dans lesquelles le verbe croire n’a pas le même sens, puisque, dans un cas, la croyance est état provisoire de la connaissance, et dans un autre, la foi n’est pas du domaine de la connaissance possible.
Croire est un verbe transitif , il se construit avec un complément d’objet. Le danger du verbe croire, est qu’en fonction de son emploi, on peut faire passer des doutes pour des certitudes. Croire c’est accepter des vérités, par adhésion de l’esprit ou par acte de volonté. Nous sommes tous soumis en permanence à de nombreuses croyances, que nous entretenons d’ailleurs. Machiavel disait « gouverner c’est faire croire », comme si nos actions font croire à nos paroles. Croirait-on autant ceux qui doutent ? Pour croire avec certitude, il faut commencer par douter, car toute réalité n’est pas bonne à croire. Dans notre contexte actuel, il suffit de constater les prises de positions récentes et répétées de certains sachant, pour se rendre compte qu’on commence souvent par se croire légitime pour finir par se croire indispensable. Nous avons tous besoin de croire, sans raison valable, on se contenterait souvent des mauvaises. Diderot écrivait « on risque autant à croire trop qu’à croire trop peu ».
Comment peut on savoir ?
Le savoir peut être défini de plusieurs façons.
Le savoir traduit la connaissance, l’acquis ou l’instruit.
En tant que verbe, également transitif, savoir se construit avec un complément d’objet. Lorsque l’accent est mis sur le contenu du savoir, c’est le fait d’appréhender par l’esprit, de pouvoir affirmer l’existence de, ou d’avoir la connaissance complète de quelque chose (exemple : je sais que le virus pénètre dans les tissus pour créer une inflammation).
Savoir désigne également l’ensemble des choses connues par un sujet et qui peut être acquis de différentes façons, le savoir utilisé comme substantif :
- Parce que je l’ai appris (Je sais que ce médicament fonctionne). Je ne l’ai pas vérifié par moi-même, je me suis fié à ce que l’on m’a enseigné. Donc ici, cela suppose de faire confiance aux enseignements que j’ai reçus (de croire que l’on me dit la vérité).
- Parce que j’en ai fait l’expérience (Je sais que la charge virale est atténuée) parce que j’ai déjà prescrit ce traitement, j’ai moi même constaté l’apparition d’anticorps etc.
- Par intuition : je sais que cela fonctionne, puisque au moment où je me pose la question, il ne peut pas ne pas fonctionner, donc il faut qu’il fonctionne. Ce n’est qu’ici que l’on peut parler de certitude. Le savoir n’implique pas nécessaire la certitude. La certitude n’est possible que par l’intuition, c’est-à-dire la capacité de l’entendement à saisir l’évidente vérité d’une proposition.
- Par logique mathématique (je sais que deux et deux font quatre) : c’est un savoir fondé sur un système logique, et en apprenant les règles de ce système, je peux affirmer ou infirmer une hypothèse.
- Savoir peut également signifier avoir conscience.
Les objets des croyances et des savoirs
Les objets du savoir et de la croyance sont incommensurables et hétérogènes. La croyance ne peut donc pas se changer en savoir.
Croire, c’est donc donner son assentiment à une proposition qui est tenue pour vraie sans avoir la certitude objective de sa vérité. Il s’agit d’une opinion. Savoir, c’est donner son assentiment à une proposition en ayant la certitude objective de sa vérité. Cette certitude est liée à des procédures de validation dont on peut rendre raison. Savoir, c’est savoir pourquoi on sait, et pouvoir le justifier d’un principe partageable à prétention universelle.
Pour Platon, l’opinion est un type de connaissance inférieure et qui, contrairement à la science, n’est pas justifiée par un raisonnement.
Une opinion peut être vraie, auquel cas Platon parle d’opinion droite, mais l’opinion, même « droite » ne peut être ni justifiée, ni enseignée. L’adhésion à une opinion, en tant qu’elle ne s’accompagne pas de certitude objective, est une croyance. Tout jugement ou toute conception, en tant qu’on le rapporte uniquement à la personne qui le soutient, indépendamment de ses raisons, est une opinion. La propre opinion de quelqu’un est sa croyance, elle peut être partagée, et lorsqu’elle est validée de façon certaine elle est son savoir. L’opinion publique est ce qu’on pense communément dans un groupe social déterminé. Elle est sujette à la persuasion, et donc à la manipulation.
L’actualité nous à interpellé à propos de nombreuses croyances énoncées comme des vérités scientifiques. Les aspects humains de l’obtention d’un consensus en science, relativisent la vision idéalisée d’une science illuminant le monde. L’interprétation de plus en plus difficile des théories et des faits, conduit à une vision opérationnelle de la science, loin des vérités absolues. Malgré cela, certains restent encore attachés à la notion de réalité et à une vision objective de la vérité en sciences. En pratique, les chercheurs, par pragmatisme, continuent d’agir en acceptant comme vrai ce qu’ils trouvent par la méthode scientifique , ou du moins en traitent les résultats comme vrais, même s’il persiste de nombreuses inconnus.
La vulgarisation scientifique, dont l’essor est croissant, occulte les nuances et les précautions d’interprétation et de répétition indispensables. L’information scientifique vulgarisée et distribuée à tous, traite comme des vérités incontestables les toutes dernières informations, même si elles font encore débat. Les seules observations ou hypothèses, sont souvent prises pour des conclusions sans même les vérifier par les incontournables expérimentations. Les premières affirmations que les scientifiques peuvent tenir pour « vraies » sont les résultats des expériences. Leurs choix interprétatifs, en revanche, ne peuvent être immédiatement tenus pour vrais. La vérité scientifique peut toujours être remise en question ; Einstein a démontré cette absence d’imprescriptibilité en infirmant la théorie galiléenne.
Le principe de « vérité scientifique » nécessite que la science s’appuie sur des faits et des données vérifiables et reproductibles, et donc sur des données au sens statistique, explorées via l’analyse, en cherchant à limiter les biais d’interprétation. Avec l’avènement de l’informatique, ces données sont de plus en plus utilisées sous forme de bases de données. Néanmoins, les erreurs scientifiques ou les fraudes sont encore relativement fréquentes. Au 21e siècle, le nombre d’articles scientifiques a augmenté par rapport au 20e siècle, et le nombre de données acquises augmenterait d’environ 30 % par an. Ceci, grâce aux progrès de l’informatique et des outils d’acquisition automatique de données, grâce à internet. Le nombre d’articles scientifiques retirés pour suspicion ou preuves de fraude ou insuffisante vérifiabilité a été multiplié. La production et l’utilisation de données ouvertes ont permis l’apparition de processus de sciences ouvertes, de sciences participatives et « citoyennes ». Parmi les innombrables données produites, une grande partie des données scientifiques se perd et doit à nouveau être acquise par d’autres. Près de 50 % des données utilisées par les scientifiques sont encore invérifiables.
Dans le roman 1984 de George Orwell, le parti au pouvoir a incorporé dans son idéologie le principe suivant : la vérité scientifique n’a de valeur que pour les seuls usages scientifiques. L’exemple donné est que dans l’idéologie du parti, la Terre est au centre de l’univers, parce que cela concorde mieux avec l’image qu’il souhaite donner de l’humanité. La vérité officielle est que la Terre est au centre de l’univers. La vérité scientifique est que la Terre tourne autour du soleil. Mais bien que les scientifiques doivent connaître la vérité scientifique pour l’employer dans leurs calculs, ils ne perçoivent pas de contradiction avec la vérité officielle. Cette position représente une intrusion de l’idéologie dans la détermination de la vérité scientifique, ce qui n’est pas acceptable. Une proposition traitant des sciences et relevant d’un choix idéologique ne peut avoir statut de vérité « objective » si elle est invérifiable par la méthode scientifique et encore moins si la vérité scientifique lui est contraire. De plus, les vérités scientifiques restent vraies une fois sorties du laboratoire, le ciel des astrophysiciens étant le même que celui des non-physiciens. Dans la mesure où une croyance est une opinion, elle ne peut être ni démontrée, ni enseignée. Elle est matière à persuasion. Dans la mesure où une croyance est personnelle, elle a un caractère subjectif.
Croire et savoir : un devoir de s’interroger
On peut se demander pourquoi et en quoi ces deux termes croire et savoir sont en lien. Quels sont leurs rapports et leurs oppositions ? Par exemple, peut on en même temps croire que le traitement médicamenteux d’une pandémie est efficace, et savoir que ce même traitement est efficace ? La croyance n’est-elle qu’une étape imparfaite menant au savoir et devant être dépassée, ou bien la croyance persiste-t-elle dans tout type de savoir ? La croyance en un traitement nouveau, pourrait tendre à être résolue par le savoir, comme elle pourrait porter sur des vérifications impossibles à connaître. Plutôt que d’affirmer, trois questions posées par Kant illustrent bien notre discussion : Que puis-je savoir ? Que puis-je faire ? Que puis-je espérer ? Les savoirs et les croyances ne portent pas forcément sur les mêmes objets. Il y a des croyances invérifiables, comme Dieu ou l’âme. A l’inverse, croire à l’efficacité d’un traitement peut se démontrer méthodiquement, scientifiquement. Croire et savoir sont au premier abord deux façons de « tenir pour vraie » une affirmation. Pourtant, il y a une différence entre croire et savoir. Cette distinction est importante parce qu’elle rend possible une critique des croyances, des convictions, des opinions et des préjugés.
Donc, croire peut relever d’une forme d’ignorance de sa propre ignorance, on croit savoir alors qu’on ne sait pas. C’est pourquoi il faut distinguer ce qu’on croit vrai, ce qui nous semble vrai subjectivement, de ce qu’on sait vrai objectivement.
Bref, croire revient à tenir pour vraie une proposition simplement probable, parfois douteuse, insuffisamment fondée en vérité. Or tenir pour vraie une affirmation douteuse pose problème. Mais cette distinction est problématique parce que la plupart de nos savoirs sont complexes à fonder, et parfois il n’existe pas de raison suffisante, définitive de leurs vérités.
Dès lors, le savoir n’est-il pas une forme de croyance mieux vérifiée, mais croyance tout de même ?
Ce sont notamment les philosophes pragmatistes qui refusent d’opposer croyance et savoir. Un savoir n’est pas une possession certaine de la vérité, mais simplement une forme de croyance mieux établie. Nos savoirs, même bien garantis, restent faillibles, c’est pourquoi ils restent de l’ordre de la croyance.
On peut opposer croire et savoir pour dire qu’une croyance n’est pas un savoir. On se situe alors dans la critique des croyances, des opinions au nom du savoir. On conçoit alors le savoir comme une sortie de la croyance, une saisie du vrai. On peut aussi dire que le savoir est une certaine forme de croyance, remarquablement bien élaborée, mais demeurant de l’ordre de la croyance parce toujours faillible, susceptible de révision.
Savoir, c’est croire en certaines affirmations, certes bien garanties, mais toujours révisables. Ce qui est en jeu, c’est la définition du savoir et de la croyance, ainsi que la compréhension de la structure mentale de ceux qui savent et ceux qui croient. Dans le premier cas, une croyance et un savoir sont deux types de propositions ou d’attitudes opposés. Dans le deuxième cas, savoir est une façon de croire, c’est-à-dire de tenir pour vrai.
Docteur Alain Toledano, CancérologuePrésident de l’Institut Rafaël,
Maison de l’Après-Cancer