Reportage « Parcours sommeil »
Par Corinne Moutout
L’approche multidisciplinaire constitue la clef de voûte de l’offre de soins de l’Institut Rafaël. Conjuguant leurs compétences, une naturopathe, deux sophrologues, une réflexologue et une professeure de yoga proposent depuis janvier 2021 un parcours en sept semaines mêlant ateliers collectifs et soins individuels dans le but de soulager les patients de l’IR atteints de troubles du sommeil. En un an, l’expérience a d’ores et déjà fait ses preuves : 74% des participants ont amélioré leur sommeil grâce à une réduction des troubles anxieux (cf encadré : « Le parcours du sommeil en chiffres »). En quoi consiste le « parcours sommeil » de l’IR ? Découverte de cette approche originale à travers le récit de Véronique, participante de la dernière session en novembre et décembre 2021.
Les six participants ont pris place pour la présentation d’ouverture du « parcours sommeil ». Parmi eux, Véronique, qui espère beaucoup de cette aventure collective en sept semaines vers un retour à un sommeil de qualité, et surtout naturel. Cette femme de 51 ans, mère de deux enfants, ne sait plus dormir sans somnifère depuis le choc de sa récidive du cancer du sein, en octobre 2020. Les douleurs autour de l’opération et de la reconstruction puis, la lourdeur de la chimiothérapie ont contribué à alimenter ce qu’elle nomme son « état d’angoisse permanent ». Pour autant, elle n’avait jamais connu de problèmes de sommeil avant son tout premier cancer du sein en 2016.
Elle raconte : « A l’époque de ma première tumeur, j’ai été très bien soignée et dans les années qui ont suivi, il n’y avait plus aucun signe de cancer. Mais l’annonce en 2020 d’une pathologie sérieuse chez l’un de mes enfants a fait l’effet d’une bombe et m’a plongée dans un stress de type post-traumatique. Quelques mois plus tard, je déclarais une récidive de mon cancer du sein… Cette fois, l’ablation était inévitable et j’optais pour la reconstruction immédiate. Malheureusement, celle-ci s’est accompagnée d’une infection et j’ai souffert le martyre ! À partir de là, j’ai vécu dans un état d’angoisse permanent. Je me sentais comme un lapin pris dans la lumière des phares », se souvient-elle.
Une psychologue de la clinique Hartmann, où Véronique est suivie, préconise alors des antidépresseurs, jugés d’autant plus nécessaires que celle-ci doit encore affronter 4 mois de chimiothérapie. Toutefois, ceux-ci, prescrits par une psychiatre extérieure, n’empêchent pas le sommeil de Véronique de se dégrader : difficultés d’endormissement, réveil nocturne et difficulté à retrouver le sommeil. Son médecin traitant ajoute un somnifère. Véronique ne se satisfait pas de cette prise de médicaments, mais retrouve tout au moins le sommeil. Petit à petit, alors que la chimiothérapie s’achève avec succès, elle réduit d’elle-même les doses jusqu’à tenter de s’en passer. Mais chaque fois qu’elle essaie de s’abstenir, sa nuit redevient mauvaise. Deux mois après la fin de tout traitement, Véronique a conscience que son petit demi-cachet de somnifère restant est devenu une béquille psychologique, plus qu’autre chose. Aussi, son objectif avec le « parcours sommeil » dont lui a parlé sa naturopathe à l’IR, Cécile Pétureau, est-il de retrouver la sérénité d’esprit et la confiance en son sommeil, qui lui permettront d’abandonner sans crainte sa béquille.
Aujourd’hui, pour cette toute première séance du parcours, c’est justement Cécile qui officie. Elle dispense des conseils d’hygiène de vie pour des conditions favorables à un bon sommeil. « On vous propose d’aller piocher dans la naturopathie, la sophrologie, la réflexologie et le yoga ce qui est susceptible de vous aider à mieux dormir, en fonction de vos troubles respectifs. C’est la richesse de ce parcours multidisciplinaire que de permettre à chacun de puiser ce qui lui est le plus bénéfique », dit-elle en guise d’introduction. Et la naturopathe de rappeler la condition essentielle à un sommeil réparateur : le respect de l’horloge biologique de l’organisme, par la prise des repas à heures régulières et un coucher avant minuit car ce sont des heures indispensables à la récupération.
« Le sommeil se prépare tout au long de la journée. On n’a pas fini de vous le répéter pendant ce parcours ! », poursuit Cécile. De fait, c’est, au fil des heures, la production successive par le cerveau de divers neurotransmetteurs – dopamine, noradrénaline, sérotonine et mélatonine – qui conduit tout un chacun jusque dans les bras de Morphée. « Aussi, mon but est-il de vous aider à optimiser la production de ces neurotransmetteurs avec votre assiette », dit-elle, avant d’égrener une série de bons conseils : faire le plein chaque jour de légumes à feuilles vertes, compléter chaque repas d’une source d’omégas 3 sous forme d’huiles, d’oléagineux ou de petits poissons gras, privilégier les glucides au goûter et éviter les protéines le soir, ainsi que de manger gras et épicé…
La naturopathe met aussi l’accent sur la nécessité de pratiquer une activité physique, qui, entre autres vertus, compte celle de favoriser la production de sérotonine. À l’inverse, cette dernière est nettement perturbée par l’usage des écrans avant le coucher, précise-t-elle. Régulièrement au fil de l’atelier, dans un souci d’interactivité et pour aider le groupe à se souder, Cécile invite les participants à témoigner de leurs pratiques en cours. Pas de gêne ici à confier ses mauvaises habitudes, chacun est heureux de ces nouvelles informations qui constituent autant de pistes d’amélioration de leur sommeil, et de leur hygiène de vie plus généralement. Pour Véronique, déjà suivie en consultation individuelle par Cécile, la présentation constitue une bonne piqûre de rappel de ce qui lui reste à mettre en place : « J’ai déjà largement réformé mon alimentation et en ai ressenti les effets en termes de regain d’énergie. J’ai remplacé le thé vert que je buvais toute la journée et qui est un excitant par des infusions. Toutefois, contrairement à ce que je souhaiterais, je ne suis pas encore à 30 mn de marche quotidienne », sourit-elle.
Le mercredi suivant, c’est une introduction à la sophrologie qui attend les participants. Hélène Breton, à l’initiative du « Parcours sommeil », alterne avec sa collègue Jeanne Radoutzki le suivi des cinq ateliers, d’une session à l’autre. Pour cette session de l’automne 2021, Jeanne est à la manœuvre et commence par rappeler les mécanismes du sommeil puis, vérifie le nombre d’heures de sommeil nécessaires à chacun avant de vanter les bénéfices des siestes plus ou moins longues pour pallier les déficiences de la nuit.
Puis, c’est le moment de découvrir comment la sophrologie peut aider à l’amélioration du sommeil. « C’est une technique qui n’a qu’un seul but : relier le corps et l’esprit, explique Jeanne. Combien de fois à propos de leur cancer ai-je entendu des patients dire le corps m’a lâché, m’a trahi. L’idée est de se réconcilier avec son corps, de le réintégrer, de retrouver le contact avec ses sensations afin de prendre conscience de ses tensions. Et pour agir sur celles-ci et enclencher une décontraction musculaire, la sophrologie s’appuie sur l’arme ultime de la respiration. Se concentrer sur le souffle, c’est déjà lâcher le mental et initier la détente. Puis, au fil des ateliers, je vous inviterai à créer des images mentales, qui seront autant d’images ressources auxquelles vous pourrez toujours revenir car synonymes d’apaisement et de sécurité. Elles vous conduiront plus aisément à cet état de détente maximum où l’on passe deux fois par nuit, au moment de l’endormissement et du réveil, celui de la production d’ondes alpha. À ce stade, la sophrologie trouve toute sa raison d’être car elle crée cet espace où le cerveau ne peut plus donner d’ordres au corps, où les émotions positives créées par les images et une respiration paisible conduisent à un sommeil de qualité ».
Véronique est arrivée très motivée à l’atelier de sophrologie. La dynamique du « Parcours de Sommeil » a déjà eu son petit effet. Au sortir du premier atelier, elle s’est décidé à réduire sa béquille de moitié : elle est passé d’un demi à un quart de somnifère sans que ses nuits en pâtissent. Aujourd’hui, elle se réjouit de retrouver le groupe. Car, tout comme pour la naturopathie, Véronique a déjà fait l’expérience de la sophrologie, mais à chaque fois en solo. Sur les conseils de sa coordinatrice de soins, elle a, en effet, eu quelques consultations avec Jeanne avant que ne soit finalement évoquée l’idée du « Parcours Sommeil ». « Je pratique déjà la respiration et ça m’aide beaucoup. Mais c’est difficile de pratiquer toute seule car c’est une gymnastique. Le groupe, c’est une vraie émulation ! », souligne-t-elle, enthousiaste.
« Après la théorie, la pratique », dit Jeanne. Les participants se sont levés. Bras le long du corps et paupières closes, ils enchaînent les cycles de respirations longues et sonores, s’attardent sur les endroits où persistent des tensions musculaires, guidés par la douce voix de la sophrologue. « Enfin, prenez le temps de revenir à la réalité du moment », conclue celle-ci. Les yeux des participants, enclins à prolonger l’instant délicieux, peinent à s’ouvrir. Puis, les regards s’animent et les visages, de manière visible, se révèlent plus détendus. Certaines esquissent un sourire qui en dit long. Et tandis que tout le monde se donne déjà rendez-vous à la semaine prochaine, Jeanne lance à la cantonade un dernier conseil : « N’oubliez pas de vous entraîner, c’est la clef du succès ! ».
Le mercredi suivant, il n’est plus question que de pratique tandis que Jeanne introduit les participants à 3 nouveaux exercices de respiration : le sophro-déplacement du négatif, le 3-6 ou l’inspiration en 3 temps et l’expiration en 6, ainsi que l’image de la vague. La grande nouveauté ce jour-là vient toutefois de la séance de Yoga Nidra qui suit celle de sophrologie. Federica Vettor, professeure de yoga et responsable des retraites organisées par l’Institut Rafaël, annonce le programme : 2 séances de yoga nidra et une autre, au milieu, de « restorative yoga » qui se dérouleront à la suite des ateliers de sophrologie. « Il faut bien comprendre que le yoga constitue tout un univers avec plein de techniques différentes. On assimile le yoga nidra à un « sommeil lucide ». Il s’agit d’une pratique très ancienne s’appuyant sur la respiration et une méditation guidée mettant en lien le corps et l’inconscient, qui va susciter une profonde détente en même temps qu’elle va rééquilibrer vos corps physique, énergétique et émotionnel. Il faut savoir qu’une heure de yoga nidra équivaut à 4 heures de sommeil ! », explique Federica.
Allongés les yeux clos et au chaud sous des couvertures, les participants sont prêts pour le voyage. Il y est question de forêt, de cerf, de clairière… De sa voix chaude et mélodieuse, en continu pendant près d’une heure, la professeure embarque les patients dans sa balade hypnotique vers un état de conscience modifié. Pour Véronique, l’expérience est totalement inédite. Et quelle n’est pas sa surprise, lorsqu’au moment du debrief, alors que les autres participants racontent leur vécu des différentes étapes du voyage, de se rendre compte qu’elle, en revanche, se souvient de peu de choses de l’heure écoulée. « Pourtant, je sais que je n’ai pas dormi. J’ai vécu un black-out, un vrai état d’hypnose qui m’a transporté sur un autre plan de conscience. Je ne me serais jamais cru capable d’un tel lâcher prise, d’une telle détente », s’émerveille-t-elle.
La semaine suivante, alors qu’elle se trouve à mi-chemin de son « Parcours du Sommeil », Véronique commence à apprécier les bénéfices engrangés au fil des ateliers : « Je n’appréhende plus d’aller me coucher. Une fois au lit, je fais systématiquement un scan corporel ainsi que l’exercice de respiration 3-6, celui qui me convient le mieux et que je fais plusieurs fois par jour. Je sens que j’ai gagné en détente, même s’il subsiste un fond d’angoisse. D’ailleurs, désormais, c’est comme un automatisme, dès que je sens une montée de stress, je fais un exercice de sophro ». Pour Véronique, outre le Yoga Nidra, les 5 séances individuelles de réflexologie avec Mathilde Enos, réflexologue à l’Institut Rafaël, constituent une véritable révélation. « C’est vraiment un moment à soi où l’on s’abstrait du monde, grâce au masque sur les yeux, à la douce musique que Mathilde laisse en fond sonore et à la détente qu’elle initie en manipulant nos pieds. Je pense que ça a largement participé à mon apaisement », dit-elle.
Avec ce « Parcours Sommeil », Véronique n’est toutefois pas au bout de ses découvertes. Car cet après-midi, c’est une séance de « Restorative Yoga » qui l’attend. La pratique consiste à tenir des postures de yoga liées à la détente, comme celles ce jour-là de l’enfant, du sphinx, du papillon et du crocodile, durant de très longues minutes. « Toutes ces postures vous ancrent dans la terre, afin que vous y déposiez ce qui vous pèse. Chez vous, vous pouvez d’ailleurs ajouter des poids pour rendre votre corps encore plus lourd et ancré. Le maintien en longueur des postures fait travailler les tissus profonds et permet d’éliminer les toxines », explique Federica. La séance s’achève et le visage de Véronique s’illumine : « J’ai adoré, encore plus que le Yoga Nidra. La dernière fois, c’était un voyage mental, là tout passe par le corps et c’était des sensations physiques tellement agréables, comme je n’en avais plus connu dans mon corps depuis l’arrivée du cancer. J’ai eu la sensation de vivre un vrai bain énergétique ! ».
Un cours de yoga nidra et deux ateliers de sophrologie plus tard, il est temps de conclure le « Parcours Sommeil » avec une ultime séance de naturopathie durant laquelle Cécile Pétureau interroge les nouvelles habitudes mises en place au fil des sept semaines et l’amélioration du sommeil attendue. « En premier lieu, je tiens à vous féliciter de votre assiduité car celle-ci est essentielle au succès du parcours », dit Cécile aux 5 patientes restantes (sur les 6 au départ). En retour, l’appréciation du groupe est unanime : leur sommeil n’a plus rien avoir avec ce qu’il était auparavant. Certes, leurs nuits ne sont pas sans à-coup, mais elles connaissent moins de difficultés d’endormissement, moins de réveils nocturnes et moins de difficultés à se rendormir. Surtout, il n’y a plus d’appréhensions à aller se coucher car ces cinq femmes ont saisi quelque chose d’essentiel pour elles : offrir à leur corps les moyens de se détendre est la meilleure manière d’impacter positivement leurs nuits, et de retrouver une certaine maîtrise qui leur faisait tant défaut.
Véronique confirme ! « C’est ce qui est appréciable dans ce parcours : on apprend plein de choses en dehors du sommeil et notamment, comment de manière plus générale mieux gérer son stress ». Interrogée sur ses nouvelles pratiques, elle précise d’un large sourire : « J’ai instauré les 30 mn de marche quotidienne, de préférence le matin, pour profiter de la lumière naturelle favorable à la production de sérotonine ! Et puis, je ne suis plus qu’à une poussière de somnifère… ». À la fin de cette ultime et joyeuse séance, le moment est venu des « au revoir ». En fait, pas vraiment ! Les cinq participantes ont déjà ouvert leur agenda pour se fixer leur prochain déjeuner entre copines. « C’est le gros plus de toute cette aventure ! », confie Véronique. « Ce parcours m’a beaucoup bousculé et fait réfléchir. Je sais qu’il est arrivé pour moi au bon moment. Plus tôt, j’étais empêtrée dans la maladie et trop angoissée. Là, j’étais en phase de reconstruction et j’ai pu m’ouvrir aux autres. Elles sont toutes différentes mais tellement attachantes. J’ai eu le sentiment qu’au fil des ateliers, elles se sont confiées plus qu’on ne peut le faire pendant les retraites. Je ne suis plus seule, je suis connectée et ça, c’est l’un des multiples bienfaits de l’Institut Rafaël ».