La démarche intégrative affirme, auprès de la personne en situation d’autisme et de ses proches, les valeurs d’une sollicitude engagée
Emmanuel Hirsch
Président du Conseil éthique de l’Institut Rafaël, professeur émérite d’éthique médicale, Université Paris-Saclay
Un projet attentif au vivre ensemble, au bien commun, à ce qui fait société
« J’ai retrouvé la paix intérieur, j’ai confiance en vous, vous veillez sur moi… » Jean-Christophe témoigne de son sentiment de plénitude, de bien-être, de son bonheur d’être reconnu et protégé. L’Institut Rafaël et la Maison Chrysalide l’ont accueilli au cours de rencontres avec des personnes atteintes d’autisme. L’approche que développe la médecine intégrative auprès de la personne qui parcourt le temps de la maladie grave, qui vit les situations de handicap avec tant de conséquences sur son quotidien, cette sensation de stigmatisation, de rejet, de disqualification et de perte d’estime de soi témoigne de notre exigence de respect et de justice tout particulièrement auprès de nos concitoyens les plus vulnérables.
Depuis plus de 5 ans, les équipes de l’Institut Rafaël ont porté un projet humaniste enraciné dans des convictions fortes : toute personne doit être reconnue dans sa dignité et ses droits, et bénéficier de l’environnement humain et social, des compétences et des innovations soucieuses d’une prise en soin intégrale c’est-à-dire attentive à ce qu’elle est, à sa personnalité comprise et respectée dans son intégrité.
Cette éthique de l’accompagnement humain et du soin adapté à chacun, contribue à ce que la personne parvienne à puiser en elle ses vérités intérieures, ses ressources parfois insoupçonnées, afin d’y trouver une confiance en la vie, de prendre la main sur son présent et son devenir, d’être assurée qu’elle a sa place parmi nous, dans notre communauté.
C’est affirmer la signification politique, la fonction sociale de la médecine intégrative et notre volonté d’écrire ensemble le projet de santé de notre société. Un projet attentif au vivre ensemble, au bien commun, à ce qui fait société.
Témoigner à leur égard une solidarité de la cité
Très tôt dans mon parcours en éthique l’autisme m’est apparu comme une urgence de mobilisation. Dans les années 1980 j’ai présidé les associations Pro Aid Autisme et Delta 7 autisme.
Il m’a été donné de partager l’engagement associatif de parents en demande d’une écoute, d’un regard, d’une reconnaissance, leur permettant de vivre autrement que dans la relégation et les jugements sommaires une relation exigeante et souvent douloureuse auprès d’enfants et d’adolescents affectés par l’autisme.
À cette époque, les psychiatres culpabilisaient les parents, les institutions se refusaient à envisager un accueil digne, les structures éducatives réfutaient le droit d’accès à un suivi pédagogique. De telle sorte que chacun vivait l’autisme comme une errance, l’isolement, la relégation, avec un sentiment de mépris et d’injustice profondément inacceptable.
Peut-on se représenter ce que peuvent éprouver un père, une mère, un frère, une sœur ou des grands-parents confrontés à l’impossibilité d’établir un contact avec un jeune totalement démuni dans sa confrontation à l’autisme ? A-t-on conscience des situations de crise, de violences faites d’automutilations, qui meurtrissent les familles et les isolent socialement ?
Avec des parents refusant la stigmatisation insupportable ou l’inertie des instances publiques, nous avons même créée la 1ère structure dédiée à la scolarité de jeunes atteints d’autisme en mai 1989 en reprenant la méthode Teacch (avec le soutien de la Fondation Paribas).
Les familles étaient alors trop souvent isolées et méconnues dans leur investissement auprès d’un proche atteint d’autisme.
Témoigner à leur égard une solidarité de la cité, signifiait que nous étions prêts à les soutenir dans un combat de chaque instant. Ne convenait-il pas d’envisager nos responsabilités comme relevant d’un devoir politique ?
L’autisme touche aux facultés de relation, de communication, à l’autonomie et donc à l’identité même de la personne.
Je rends hommage à celles et ceux qui n’ont jamais accepté de renoncer, qui se sont refusés au ‘’placement institutionnel’’, faute d’alternative satisfaisants. Au nom de valeurs profondes, d’une conception du respect et de la dignité humaine, ils n’ont pas abdiqué et se sont investis dans un combat de chaque jour afin d’obtenir les évolutions indispensables à la reconnaissance, au sein de la cité, de droits jusqu’alors bafoués.
Cette lutte souvent aux marges de la société et des systèmes établis a été engagée pour honorer des principes mais aussi pour préserver des personnes, hautement vulnérabilisées, des excès de l’indifférence et du mépris.
Il est, en matière d’éthique, un principe que je souhaite rappeler : plus une personne est vulnérable, plus fortes sont nos obligations à son égard.
Les droits de la personne malade comme ceux de ses proches sont à comprendre comme autant d’obligations de la société à leur égard. Il nous fait les maintenir et, si nécessaire, les confirmer dans leur sentiment d’appartenance à la communauté que nous formons. C’est ensemble qu’il convient d’assumer nos responsabilités ; au nom de valeurs démocratiques qui fondent le vivre ensemble.
Un moment important dans l’histoire de la médecine intégrative qui s’écrit aujourd’hui et ensemble
Une place au sein de notre société doit être reconnue aux personnes atteintes d’autisme. En pratique, il s’agit de favoriser les initiatives visant à soutenir un authentique projet de vie, une réelle intégration parmi nous. Il me semble dès lors indispensable de mettre en œuvre les dispositifs d’accompagnement les mieux adaptés. Ils tiennent pour beaucoup à la qualité du soutien social et pédagogique des jeunes affectés d’autisme, mais aussi à l’environnement chaleureux et aux solidarités dont doivent bénéficier leurs proches.
Mon témoignage peut être compris comme l’expression d’un soutien mais aussi comme un appel qui concerne chacun d’entre nous.
Il importe d’être à la hauteur de l’engagement des familles et des professionnels mobilisés pour que les représentations encore péjoratives ou les incompréhensions du trouble du spectre de l’autisme bénéficient de l’hospitalité et de la bienveillance de la cité. S’ils interpellent la société et souhaitent nous sensibiliser et nous savoir à leur côté, c’est parce que leur combat est le nôtre.
Ils nous permettent de mieux comprendre les valeurs qui nous sont communes – celles que nous devons assumer et défendre au nom de cette dignité qui inspire l’idée même de démocratie.
C’est pourquoi l’initiative de la Maison Chrysalide avec l’Institut Rafaël représente un moment important dans l’histoire de la médecine intégrative qui s’écrit aujourd’hui et ensemble. Elle se tisse fil à fil de ses rencontres et de ses partages, là où si souvent les réponses et les solidarités s’avèrent insatisfaisantes, précaires, voire désespérantes. Il nous faut avoir conscience de nos responsabilités en les assumant avec rigueur et volontarisme, en partenariat, dans le partage d’expériences et d’expertises qui nous animent et nous enrichissent réciproquement. C’est servir ainsi les valeurs d’une société qui reconnaît comme l’un des siens, l’un de ses essentiels, celui qui si souvent est délaissé dans l’errance si loin de notre sollicitude alors qu’il a sa place parmi nous. La démarche intégrative affirme, auprès de la personne en situation d’autisme et de ses proches, les valeurs d’une sollicitude engagée.