A Rome, les augures étaient des devins chargés d’observer le ciel et d’en communiquer les présages aux autorités. Ces présages conditionnaient les décisions politiques, en lisant dans la mise à mort puis dans les entrailles des volatiles. Selon ce qu’on pouvait y voir, on parlait de bon ou de mauvais augure. Les oiseaux de mauvais augures, ces rapaces qui n’apparaissent que lorsqu’il y a mort et cadavre, sont restées des figures emblématiques négatives.
La médecine est l’ensemble des connaissances scientifiques et des moyens mis en œuvre pour soulager, prévenir, ou traiter, des maladies, des blessures ou des infirmités. Il ne suffit pas d’offrir les techniques de soins les plus précises pour être reconnu comme un bon médecin. Savoir parler à son patient et l’engager dans son combat de vie, ou contre la mort, en lui donnant de l’espoir, est un enjeu crucial.
Shakespeare disait « mourir en combattant, c’est la mort détruisant la mort ; mourir en tremblant, c’est payer à la mort le tribu de sa vie ». Avec des mots on soigne, avec des mots on tue. Ainsi, on peut faire mourir une « deuxième fois » après une annonce inadaptée…
L’annonce d’une maladie grave est un temps aussi redouté que déterminant dans la vie des médecins. La compréhension de chaque terme et les connaissances scientifiques ne suffisent pas pour cela, même si elles sont indispensables.
Traiter l’annonce de la maladie grave, pour mettre en exergue son importance, et quelques clés utiles de communication, devrait pouvoir se faire sans être lourd ou pesant, mais au contraire, en démontrant que la maîtrise de cet exercice peut générer plusieurs formes d’espoir.
Le colloque GYPSY à venir s’est courageusement attaqué au thème de nos « sacrées vérités » cette année. S’interroger sur la manière ou le moyen d’annoncer une maladie grave nous incite à différencier les multiples situations cliniques rencontrées. Chaque soignant doit, en responsabilité, réfléchir sur la prise de décision, l’impact de ses dires, les vérités relatives qu’il manipule. La temporalité de l’annonce et les règles de non-malveillance sont autant de questionnements destinés à restituer la noblesse parfois bafouée à nos professions.
Laisser entrevoir un avenir assombri en empêchant de perdre la confiance, la sécurité, ou l’espoir, doit faire appel à une prise de hauteur sur les enjeux de telles annonces.
I – La maladie grave : définition
La maladie est l’altération ou la dégradation de l’état de santé, elle peut être aiguë ou chronique. Sa gravité implique que la maladie soit évolutive, engage le pronostic vital, nécessite une prise en charge médicale, et qu’elle ait un retentissement majeur sur la vie quotidienne. La maladie peut avoir une cause organique, psychologique ou encore cognitive.
Il convient de différencier plusieurs types de maladies graves dans le cadre de notre réflexion sur l’annonce :
- La maladie grave palliative, où la maladie ne peut plus être guérie par la médecine, et le temps de vie est compté à plus ou moins long terme, sans qu’on puisse forcément en déterminer la durée du terme. Dans ce cas, les malades partagent alors le fait d’avoir un corps malade, de présenter un pronostic létal et d’être confrontés à une conscience du mourir.
- La maladie grave de pronostic plus incertain dans la durée, peut être curable ou non curable, gérable ou non gérable médicalement, peut aussi être visible ou non visible, et altérer l’autonomie du patient ou pas.
Pratiquement, vingt millions de personnes souffrent de maladies chroniques en France. Et ce chiffre ne cesse d’augmenter. Alors, comment améliorer l’annonce en même temps que les pratiques de soins destinées aux personnes gravement malades ou en fin de vie ?
II- L’annonce d’une maladie grave
Annoncer, c’est faire connaître un évènement qui est déjà su, ou bien encore communiquer une inconnue. Annoncer c’est indiquer quelque chose par avance, le laisser présager, ou bien prévoir.
Annoncer diffère de dévoiler, qui est le fait de révéler, expliquer, ou porter à la connaissance de quelqu’un ce qui était caché ou qui n’était pas connu.
Si l’annonce médicale laissait présager un avenir incertain, à un patient qui a choisi de vivre dans le présent, on devrait s’interroger sur la temporalité et la compatibilité des perspectives échangées. Le futur est-il un présent en avance ou un présent confisqué ?
Entre la volonté de ne pas être l’oiseau de mauvais augure, le devoir d’information vis à vis de son patient, et la peur de « mal faire » l’annonce, tous recherchent les règles de l’annonce « idéale ».
Prenons le cas de Mme C., 50 ans, partie faire une mammographie de dépistage systématique. Le radiologue l’interpelle entre deux portes pour lui dire « vous avez un cancer, trouvez vous un médecin pour gérer ça ».
En plus de l’annonce traumatique sidérante, l’absence immédiate de projet de soins et de perspectives laisse Mme C. ruminer ses peurs et désemparée. Elle s’en rappellera négativement toute sa vie.
Même s’il n’y a pas une seule manière d’annoncer une maladie grave, il y a des manières à bannir.
III- L’annonce de la vérité médicale
Au nom de la relation de confiance entre le soignant et le patient, et du devoir d’information claire et loyale, chaque soignant est enclin à annoncer le fait au nom de la vérité. L’énoncé des vérités médicales semble souvent prendre le pas sur la forme même de l’annonce. La vérité médicale est-elle la vérité humaine ?
Annoncer sa vérité à tout prix à qui n’est pas disposé à l’entendre est souvent contre-productif. Le moment de l’annonce est déterminant dans la capacité à intégrer une mauvaise nouvelle. Notre interlocuteur peut nous percevoir aimable ou important, suivant que le contenu de l’annonce soit bon ou mauvais.
Annoncer l’aggravation d’une maladie connue et l’assombrissement d’un pronostic, diffère de l’annonce d’un nouvel événement ou de la découverte d’une maladie grave, dans l’acceptation potentielle du patient et de son entourage. Il n’y a pas qu’un seul type d’annonce et qu’une seule manière de faire, mais bel et bien des situations aussi diverses que singulières.
L’objectif de cette communication étant autant d’honorer la confiance dans l’échange des savoirs entre le soignant et le soigné, que de pouvoir façonner avec justesse la représentation mentale permettant au patient de mieux vivre avec sa réalité et se projeter. Et puis, la vérité de chacun évolue…
« Toute vérité passe par trois étapes, d’abord elle est ridiculisée, ensuite elle est violemment combattue et enfin elle est acceptée comme une évidence » écrivait Arthur Schopenhauer.
La vérité ne porte plus de majuscules elle ne se conjugue plus au singulier, il y a des vérités. Pour imager cela, prenons les tableaux de Pablo Picasso lors de sa période cubiste. Ils montraient des personnages sous divers angles à la fois, comme s’il était impossible d’exhiber la réalité sous un seul d’entre eux et que tous étaient légitimes d’exister. Le mouvement cubiste prophétisait la multiplication et la diversification de la vérité.
Gustave le Bon disait : “Trois ordres de vérités nous guident : les vérités effectives, les vérités mystiques, les vérités rationnelles”
Souvent, l’annonce médicale est vécue par le soignant comme un acte émanent de réalités scientifiques, et un devoir. Le médecin ne se sent pas dans son rôle d’interpréter « la science » et de penser l’incertitude philosophiquement.
Les vérités scientifiques sont censées être des vérités universelles. Les certitudes religieuses ou philosophiques, tenues pour des vérités, sont généralement des convictions transitoires issues de passions et de sentiments n’ayant aucun élément rationnel pour soutien.
En effet, la science et la philosophie se différencient par deux caractéristiques. D’une part, la philosophie est guidée par le souci de l’utile, la considération de notre intérêt véritable : la conservation de la vie, la santé, un bonheur solide. Cette considération permet de sélectionner parmi les connaissances celles qui sont les plus importantes, parce qu’elles sont nécessaires et suffisent à l’obtention de la fin poursuivie. D’autre part, elle vise moins l’acquisition de vérités, l’apprentissage de principes et de maximes, que la formation d’habitudes et d’un jugement sûr par l’exercice. La philosophie est avant tout une pratique, elle est un savoir appliqué et disponible, puisqu’elle doit nous apprendre à utiliser les connaissances acquises en vue du bonheur.
La vérité peut être assassine. Parfois, elle est la désillusion, elle incarne la pesante confrontation avec le plus mauvais verdict. Pourtant, on continue de penser que face à l’angoisse de l’inconnu, de l’imprévisible, de l’incertitude, la raison et la vérité sont des médicaments miraculeux. Mais, l’incertitude est-elle toujours synonyme d’insécurité ?
Boris Cyrulnik a un point de vue intéressant sur l’incertitude lorsqu’il différencie deux profils de personnalités : les évolutionnistes vs les fixistes. Les évolutionnistes, comme il les nomme, érotisent le doute, la surprise, l’inattendu, ils acceptent l’angoisse inhérente à l’existence. Les fixistes, eux, préfèrent la paix de la vérité totale.
Alors que le doute obsessionnel empêche la décision pour certains en quête de vérité, le doute évolutionniste découvre plusieurs vérités. La personnalité du médecin rejaillit forcément sur sa manière d’annoncer la maladie grave, et sa conception de « la vérité ». « La vérité c’est ce qui satisfait les besoins de notre âme » disait bien Maurice Barres. Si la raison scientifique pouvait réduire l’incertitude selon certains médecins, la vérité issue de la raison assénée sans discernement peut causer des dégâts majeurs auprès des patients et de leur entourage.
La quête d’une seule vérité à tout prix peut être préjudiciable. Elias Canetti disait de la vérité :
« Je hais la disposition perpétuelle à la vérité, la vérité par habitude, la vérité par devoir. Que la vérité soit un orage, et lorsqu’elle a purifié l’air, qu’elle se retire ! Elle doit frapper comme la foudre, sans quoi elle est sans effet. Il ne faut pas qu’elle devienne le chien de l’homme, malheur à celui qui la siffle pour l’appeler. On n’a pas à la nourrir, on n’a pas à la mesurer, seulement la laisser croître et grandir dans sa paix redoutable. »
De mémoire de cancérologue, il est des phrases qui ne jettent leur poison que des années après. Ainsi, par les mots de l’annonce, à distance du décès d’un membre d’une famille, on ajoute de la tristesse à la peine.
Si on sait prendre le temps d’annonce, le choisir, et mettre les formes, cette « vérité » médicale dans l’annonce de la maladie grave peut être salvatrice. « La malédiction du devoir mourir doit être changé en bénédiction, à savoir, celle de pouvoir encore mourir lorsqu’il est insupportable de vivre » (Elias Canetti : EC).
N’oublions pas que derrière ces annonces, chacun aura à faire face à son rapport à la vie et à la mort. Tous n’ont pas forcément réfléchi à ces questions, au moment où elles se présentent.
La mort ne peut pas être l’issue d’une vie qui n’a pas assez durée. On vit dans la naïveté qu’il y a plus de place dans l’après, le plus tard, que dans tout le passé. Le moins mauvais moment d’annonce de maladie grave, nécessite qu’on connaisse son patient, l’état de ses réflexions de vie et projets réalisés ou contrariés.
C’est pour cela, comme on le voit dans certains services hospitaliers, où la charge de l’annonce incombe automatiquement au médecin de garde présent, que la substitution d’un médecin par un autre, pour asséner une vérité semblant « similaire » et indépendante de celui qui la profère, est une illusion destructrice.
Par ailleurs, choisir le média de l’annonce est tout aussi important que l’annonce elle-même. Opter pour dire des mots, ou bien pour ne pas le dire, mais le signifier par un échange de regards par exemple, ou encore un contact physique, est une décision humaine parfois adaptée. « Un regard est pur lorsqu’il est seul ; déjà la phrase qui le suit lui ôte quelque chose » (EC). La communication non verbale est primordiale, c’est un art. Lorsqu’on choisit ses mots, penser à leur interprétation est une clé de réussite ; pour exemple :
« N’ayez pas peur » ne signifie pas pour le patient « soyez rassuré », car le cerveau n’entend pas la négation.
IV- ANNONCER UN TEMPS DE VIE : une Chronopathologie
Notre rapport au temps est autant le sujet de l’annonce de la maladie grave que notre rapport à la vie ou à la mort.
« Nous, nous avons une maladie appelée chronopathologie, ou bien la maladie du temps. La raison nous a habitué à aborder la réalité de sorte à l’éliminer progressivement. Nous avons perdu le sens de la réalité et donc celui du temps. Le « temps » n’existe plus. Il a été métamorphosé par la raison en « terme », (« l’espérance de vie ») à court terme, à moyen terme, à long terme. Mais le terme n’est pas le temps, le terme est une catégorie de l’esprit qui dénature, pourrit, et déforme le temps qu’il emprisonne. Le temps est évanescent et indéfinissable, c’est une distension de l’âme selon Saint-Augustin. Il relève de l’incertain et du non maîtrisable. En transformant le temps en terme, nous avons perdu tout contact avec le temps, mais en échange nous avons eu l’habitude d’avoir affaire au terme, un concept objectif, rationnel, prévisible, délimitable, mathématisable dans des logiciels, des modèles, et des tableurs. Le terme est la dimension utile du temps et on ne se préoccupe en plus que de cette dimension, en ignorant toutes les autres, la raison en est l’ancestrale peur humaine du temps lié à notre angoisse de l’incertain assimilé à la mort » (EC). Ainsi le médecin ne sachant pas définir le temps de vie restant, sanctionne le projet de vie à terme, sans laisser le temps nécessaire pour vivre, avant de mourir.
Souvent, les quelques temps avant de mourir permettent à de nombreux patients de (re)trouver la quiétude qu’ils n’avaient pas trouvée leur vie durant.
V- Décider de la manière et du moment d’annoncer une maladie grave
Comment l’annonce d’une maladie grave dépend-elle de la temporalité et des décisions médicales ?
Georges Canguilhem disait : « Il n’y a rien dans la science qui n’ait d’abord apparu dans la conscience », ainsi, les « règles » de décision de l’annonce semblent être plus une prérogative des sciences humaines.
La base décisionnelle associe constamment des informations et de l’abstraction, des savoirs et de l’incertitude.
Pour Leibniz : « il faut faire de la décision une nécessité morale qui incline sans contraindre, échappant aux différentes formes du fatalisme comme à la liberté d’indifférence ».
Toute décision a des enjeux éthiques. Décider c’est analyser, délibérer, choisir, puis en évaluer les conséquences.
Deux approches sont éthiquement nécessaires dans le choix de l’action :
- La téléologie, quel(s) but(s) de l’action à entreprendre ?
- La déontologie : quel(s) moyen(s) sont acceptable(s) ou interdit(s) ?
On parle d’une action s’il y a un « autre », l’acte de décision est un engagement vis à vis d’autrui.
Intégrer la réactivité émotionnelle dans le processus de décision s’impose à nous. Un minimum de capacité de s’émouvoir est indispensable pour une prise de décision raisonnable. La dérégulation émotionnelle peut empêcher une délibération. Il convient alors de différencier les décisions sociales ou personnelles, différentes des raisonnements exclusivement techniques ou scientifiques (et ne dépendant pas forcément d’une temporalité). La raison spéculative (connaissance) et la raison pratique (morale) sont à considérer dans toutes les approches décisionnelles. La décision est souvent reliée au sentiment du devoir, et dépend de ses savoirs, des incertitudes, et du contexte.
Les données extérieures à connaître pour décider sont les règles déontologiques, les données objectives pertinentes, et les diverses reliances des personnes concernées par la décision.
Paul Ricoeur disait qu’ « il faut courageusement s’attarder à rechercher le moindre mal ». Cela incite à l’humilité dans la décision.
VI- Nos processus décisionnels d’annonce médicales face aux erreurs systématiques
Les biais cognitifs, ou erreurs systématiques, impactent lourdement nos processus décisionnels. Chaque décision nécessite une interprétation de faits passant au travers de nos filtres mentaux. Les éléments d’un bon jugement comportent l’apprentissage, la confiance, l’expérience, le détachement, l’analyse des options et leur mise en œuvre.
Si un bon jugement peut être consécutif à une intuition ou un instinct acquis, il allie fréquemment l’expérience et des compétences analytiques (souvent au niveau inconscient). Pour produire une vision d’ensemble, et reconnaître une tendance que ne repèrent pas forcément les autres, les qualités essentielles sont la capacité d’écoute attentive et la bonne lecture critique des données.
Reconnaître ses propres biais et émotions et les retirer de l’équation est un gage de qualité du processus décisionnel. L’interprétation du langage non-verbal, corporel, la mise à l’écart de ses croyances, la prise de conscience de ses biais cognitifs sont autant d’ingrédients de qualité favorisant les bonnes décisions. Toute déviance n’est pas un biais, il convient de considérer également l’incompétence, l’inattention ou la malhonnêteté. Surmonter les préjugés en étudiant les risques et les incertitudes est plus porteur que de conclure hâtivement.
Prendre conscience de l’exacte imprécision de nos décisions médicales est un devoir éthique.
Il est important de considérer que la vérité médicale n’est pas la vérité humaine, et que la prise de conscience se fait souvent par paliers. Notre expérience nous égare souvent autant qu’elle nous sert. La confiance en nos croyances est corrélée à notre incapacité à admettre notre ignorance et nos incertitudes.
VII- Notre cerveau peut nous jouer des tours pour chaque décision d’annonce
Nous sommes sujets à une pensée rapide, intuitive et émotionnelle ; mais aussi à une pensée lente, plus logique et réfléchie (selon le prix Nobel Daniel Kahneman). Ainsi, nous mesurons parfois l’importance d’un sujet en fonction de la capacité avec laquelle on peut le retrouver dans une recherche mémorielle. La formulation peut influencer le processus décisionnel, autant que la volonté de reconnaissance de schémas connus, assortie à notre état émotionnel. Charge à nous de reconnaître nos intérêts personnels, nos liens affectifs, et nos souvenirs tronquées pour optimiser la justesse de nos décisions.
La qualité des décisions dépend de la manière dont nous les prenons : comme une enquête ou bien comme un plaidoyer ? Le propre du système complexe que représentent certaines décisions, est de considérer un grand nombre de données, des interactions non linéaires, une dynamique et une histoire évolutives ; nos décisions peuvent ainsi s’appuyer sur des schémas passés plutôt que sur des règles logiques ou avec une absence de logique reconnue. L’univers ordonné basé sur des faits, est loin de l’univers désordonné basé sur des schémas.
Les médecins, comme les patients, élaborent leurs propres mécanismes de défense. Par exemple :
- Le mensonge par omission, qui permet de différer le moment de dire vrai : « Je n’ai pas encore les résultats définitifs, il nous faut les attendre » ;
- La rationalisation, quand le médecin utilise un jargon médical incompréhensible pour le malade, qui ne peut qu’écouter sans rien comprendre ;
- La fuite en avant, quand le médecin lâche d’un coup toute la réalité médicale – comme pour se libérer d’un fardeau trop lourd à porter ; ou encore quand il ne cesse de parler, pour occuper le terrain, sans laisser au malade la place nécessaire pour exprimer une quelconque demande.
- Mais pour entrer en relation avec son patient, le médecin doit lui laisser la possibilité d’ouvrir un autre temps, un autre territoire. Chaque patient interprète, plus ou moins consciemment, la signification inconsciente des gestes du médecin.
VIII- Pourquoi certaines décisions d’annonce sont difficiles ?
Une décision difficile est une décision se faisant avec effort, demandant une habileté ou un effort intellectuel ou bien des capacités (pour être compris ou résolu). Elle peut présenter des obstacles ou des dangers. On peut qualifier une décision de difficile lorsqu’on a du mal à l’assumer – d’ailleurs, a-t-on des décisions non difficiles à prendre ? Une décision peut être difficile quand les réactions peuvent être intenses ou imprévisibles.
L’apprentissage, la confiance, l’expérience, le détachement, l’analyse des options et leur mise en œuvre sont le propre d’une bonne capacité à décider. Et le temps qu’on se donne pour le faire… En effet, le médecin coupe la parole au patient en 23 secondes en moyenne. Le médecin passe moins d’une minute par jour en moyenne avec la famille des patients hospitalisés (lorsque celle-ci a accès à l’hôpital). Comment peut-on créditer un interlocuteur qui nous donne l’impression de ne pas prendre le temps ?
Prenons l’exemple du Dr G., médecin qui se retrouve face aux trois enfants de Mme Y., elle-même âgée de 68 ans, qui vient d’entrer dans un coma superficiel le matin même. Mme Y. a été admise dans le service de cancérologie pour un cancer du sein métastatique diagnostiqué il y a trois ans, pour lequel elle a reçu trois lignes de chimiothérapie. Elle perd conscience. L’ainé des enfants demande au Dr G. de tout faire pour la sauver, et le questionne sur ce qu’il compte faire ?
De façon caricaturale, deux potentielles décisions peuvent être prises et annoncées :
- Arrêt des soins, pas d’obstination déraisonnable
- Intubation, passage en réanimation
Si le Dr G avait comme méthode de réanimer tout le temps, tout le monde, nous n’aurions pas de difficultés à pointer du doigt les conduites qualifiées d’acharnement thérapeutique.
Si le Dr G avait pour philosophie de ne pas envisager de réanimation :
- pour les patientes atteintes de cancer du sein, au-delà de la troisième ligne métastatique, au regard de la faible probabilité d’efficacité des traitements anticancéreux dont on dispose
- car la réanimation d’une personne avec comorbidités coûte cher à la société et que le bénéfice des traitements dont on dispose est faible
- car il ne souhaite pas être responsable du potentiel handicap généré pas une réanimation présumée complexe, sur un corps affaibli.
Sa méthode serait de répondre aux familles dans cette situation, par l’abstention des soins actifs, et de systématiquement ne pas réanimer.
Si Dr G n’avait pas de philosophie ou de méthode arrêtée, mais avait pour approche de ces situations :
- d’écouter la famille :
-
- Il y a souvent un désaccord entre les enfants, allant jusqu’au conflit, au sujet de la poursuite des soins actifs ou de l’abstention thérapeutique.
- Parfois des directives anticipées du patient malade existent, quand aux situations engageant le pronostic vital.
- de s’adapter au patient et à la maladie :
-
- Différencier une patiente souffrant d’avoir un cancer, sans espoir, handicapée et déprimée ; ou bien une patiente joyeuse et combative, pleine de projets s’accrochant à la vie, à sa famille et à ses passions.
Malgré tout cela, nous ne pourrons toujours pas considérer que c’est à une personne, quand bien même médecin, de considérer quelle est la valeur de la vie, et quelle vie vaut la peine d’être vécue.
Concernant la prise de décision au sujet de Mme Y, et son annonce, l’expérience et l’absence de biais cognitifs pourraient faire imaginer des scénarios différents concernant la possible évolution clinique de Mme G. entrant en coma :
- un épisode aigue d’hypercalcémie due à des métastases osseuses pourrait avoir généré le coma. Avec une hydratation et des soins simples, le coma peut se résoudre. Doit-on avoir une attitude différente suivant que la cause du coma soit une atteinte viscérale du cancer gênant le fonctionnement de l’organisme, ou bien d’un épisode aigu métabolique potentiellement réversible ?
- dans plus de 25% des cas, une 4ème ligne de traitement anti cancer est efficace; pourquoi ne pas la tenter ?
- Si les traitements ont un coût, la vie n’a pas de prix
Ces situations de réanimation de patients atteints d’un cancer avancé impliquent une discussion éclairée à chaque fois, et une réflexion sur la manière de l’annoncer au patient ou à sa ses proches. On résume souvent la décision à prendre entre le respect de la vie versus le droit à une mort digne.
La mission de protection et de sauvegarde de la santé a toujours supposé de la prudence, du discernement et de l’audace.
L’échange d’informations, la sérénité dans l’exercice, l’analyse des alternatives, la liberté de penser, la capacité de décider, le report à plus tard, le recours à un tiers, l’espoir fou, la souffrance indue, l’évitable, les particularités culturelles, la volonté de l’usager ; sont autant de sujets et d’ingrédients à considérer dans ce processus d’accompagnement d’aide aux décisions difficiles.
IX- L’annonce d’une maladie grave et les règles de communication.
L’analyse du contexte, de l’annonceur, du destinataire, du message, comptent beaucoup.
Les modes de communication sont distincts : la communication visuelle, écrite, verbale et non-verbale peuvent être utilisées. Être en mesure de les adapter aux types de personnalité donne de meilleurs résultats.
Un médecin annonçant une maladie doit prendre de la hauteur, et ne pas se concentrer exclusivement sur le contenu de son message.
Sa présence dans la relation à l’autre, l’attention qu’il lui porte, l’intention qui est la sienne lorsqu’il délivre son message, sont autant d’éléments déterminants et auxquels se raccrocher pour le patient et sa famille.
D’après les psychanalystes en effet, le malade attend davantage du médecin que son seul savoir scientifique ; ce « plus » correspond à ce qu’on appelle « le transfert », qui est moteur dans l’aménagement d’une relation soignante. Ainsi, si le malade prête bien au médecin un savoir réel, il a aussi besoin de lui faire entendre sa vérité de sujet ; s’il attend les meilleurs traitements possibles, il espère également un soutien moral personnalisé.
La communication doit être exacte, objective, claire, concise, constructive, complète et émise en temps utile.
La communication, pour être efficace se doit d’être persuasive, d’utiliser un langage adapté, des idées compréhensibles. Laisser la possibilité de poser des questions et d’interagir, reformuler si nécessaire, adopter une tonalité de voix et soigner son langage corporel sont également déterminants.
La forme de la communication compte autant que le fond. La voix tout d’abord : Parler suffisamment fort, en articulant, ne pas parler trop vite, ne pas réciter, et marquer des pauses entre chaque partie. Ensuite, le regard : Regarder ses auditeurs en essayant de parcourir des yeux l’espace où se trouvent les accompagnants éventuels.
Savoir installer des silences, car quand on parle, on n’écoute pas. Tenter de mettre l’autre à l’aise. Faire preuve d’empathie, être patient, savoir répéter, et poser des questions…
Pour qu’une annonce soit « réussie », la (re)connaissance de notre patient est fondamentale, tout comme l’objectif de notre annonce ou la définition de notre message.
Savoir contourner les obstacles à l’annonce est également fondamental, que ce soit le bruit, ou encore les obstacles culturels ou sociologiques. Souvent les soignants minimisent les obstacles psychologiques et affectifs dans leur délivrance de « la vérité ».
Parfois, en se combinant utilement, les souvenirs passés, l’imagination, le raisonnement, et les sentiments, donnent lieu à l’émergence de possibilités affectives de réponses nouvelles, à des émotions différentes. La nature se sert de l’émotion, et les sentiments sont des perceptions interactives. Le médecin et son patient doivent construire le cadre relationnel propice à atténuer certains sentiments négatifs, et à acquérir les ressources nécessaires pour mieux ressentir et pour mieux vivre.
Cet environnement émotionnel dépend du cadre physique de l’entretien, mais aussi de la posture d’écoute, des expressions corporelles, du champ sémantique employé, ainsi que de la considération de l’autre.
Par leur rôle d’amortisseurs et leur fonction d’adaptation, les processus défensifs sont indispensables au malade. Ils lui permettent de temporiser, de se ménager un temps de latence essentiel pour affronter le réel, et parvenir à élaborer une demande. Celle-ci pourra paraître insolite ou même franchement insupportable. Quand le patient retrouve des mots pour symboliser ce réel qui l’atteint si profondément, ce qu’il exprime se situe bien loin de l’échange de propos rationnels souhaité par le médecin
X- Garder l’espoir
Comment empêcher l’espoir de s’en aller ? Ce sentiment d’espoir qui fait attendre avec confiance, avec sécurité, avec assurance.
En s’engageant dans une attitude de soutien et de réassurance. En évitant d’imposer une vérité, en prenant en considération l’incertitude, en donnant du temps d’écoute et d’acceptation au patient. Individualiser et personnaliser chaque prise en charge permettra d’éviter les annonces de maladie grave traumatiques, pour le patient et son entourage.
Après l’annonce de mauvaises nouvelles, le médecin ne doit pas tarder à informer le patient et ses proches des possibilités de prise en charge médicale ; que ce soit des traitements spécifiques, des soins, des approches psychocorporelles, du soutien social, des aides à domicile, une possibilité de recours médical en urgence, etc. L’engagement dans le combat contre la maladie ou les symptômes doit idéalement accompagner l’annonce d’une maladie grave.