J’ai l’impression tenace de vivre un mauvais rêve, l’histoire insensée d’un minuscule virus couronné qui a réussi à mettre au régime sec des millions de Français, confinés et privés de travail, de virées familiales, de sorties, de repas entre amis, de cinéma, de concerts… Une déshydratation existentielle inédite qui a suscité, passé le temps de la sidération et de l’acceptation de la réalité imposée, une avalanche d’apéros Zoom, de dîners Skype, de réunions Teams, une reconstitution virtuelle de ces petites communautés auxquelles nous appartenons tous.
Nous n’y prêtions pas vraiment attention tant nous sommes habitués aux soupers en famille, aux déjeuners entre collègues, aux échanges devant la machine à café, aux anniversaires, aux mariages, aux enterrements… mais toutes ces familles biologiques, de cœur ou de projet sont essentielles. C’est ce qu’expérimentent les huit participants (ou plutôt devrais-je dire participantes, car elles en constituent l’écrasante majorité) au groupe de paroles de l’Institut Rafaël.
Toutes arrivent déshydratées : « mes repères ont sauté, je me sens seule et pourtant je suis entourée, ce que je pensais accessoire est devenu essentiel et inversement, je ne trouve plus de sens à mon travail.. ». Le groupe leur fait du bien : elles écoutent, se livrent un peu, puis un peu plus et plus encore. A la sixième séance (d’une série de dix-huit), la dynamique de groupe est lancée : les verrous sautent, l’ambiance est à l’accueil de l’autre dans toute sa singularité, à l’entraide, au lien. Le WhatsApp du groupe commence à crépiter, des duos ou des trios se forment pour une expo, des livres s’échangent.
Je peux pousser un soupir de soulagement car je sais alors que la partie est à moitié gagnée. Elles se sont mises en route vers le futur qui a du sens pour elles. Il y aura bien sûr encore des obstacles à surmonter mais elles ne sont plus seules, abandonnées dans la rase campagne du non-sens.
Au terme de leur parcours au sein du groupe, elles ont accompli volontairement cette plongée existentielle que nous venons de vivre contraints et forcés. Et que nous disent-elles ? Qu’après une épreuve, nous pouvons retrouver le goût de vivre, un goût qui nous ressemble, que ces moments de confinement (cancer ou coronavirus) nous poussent à nous poser de vraies questions et à affirmer nos choix et que surtout, nous pouvons faire table rase de ces fils toxiques qui nous emprisonnent en s’appuyant sur des liens nourrissants et roboratifs.
Nous sommes alors prêts à trinquer à la vie.
A la vôtre !
Par Isabelle Delattre, Logo thérapeute, responsable des Groupes de Paroles à l’Institut Rafaël