“La” médecine ou “les” médecines : un article défini qui conditionne notre regard

Institut Rafaël
La médecine est elle une science
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Si la médecine est définie comme l’ensemble des connaissances scientifiques et des moyens de tous ordres mis en œuvre pour la prévention, la guérison ou le soulagement des maladies, blessures ou infirmités, est-elle perçue de façon équivalente par tous ?

Emmanuel Kant a tranché, en disant au XVIIe siècle : « La médecine est un art et non une science exacte et rationnelle ».

Et dans ce cas, l’artisan (ou l’artiste) médecin est-il un scientifique avéré ?

Confronter ces points de vue nous aidera probablement à définir les contours de notre (nos) médecine(s) évolutive(s), aussi humaine que technique.

Parle-t-on encore d’une seule et même médecine ou de médecines ?

Au fur et à mesure de l’histoire, la médecine est passée d’un bricolage, parfois génial, aux promesses de l’intelligence artificielle. Plus la médecine se sophistique, plus nous sommes exigeants envers elle. Nous lui demandons parfois l’impossible et fondons tant d’espoirs sur elle, nous attendons qu’elle nous guérisse à coup sûr, qu’elle nous empêche de retomber malade et surtout qu’elle ne se trompe jamais de diagnostic voir de pronostic.

La médecine est une science, un art et une technique, dont l’objet est à la fois l’étude du corps humain et de son fonctionnement, ainsi que la conservation et le rétablissement de la santé au sens plus large.

Caractériser la médecine n’est pas si simple, tant ses actions et ses facettes se sont enrichies au fil du temps.

Regardons les actions médicales multiples qui en disent long sur la richesse de la médecine : l’étiologie étant l’étude des causes de la maladie, la pathogénie étant l’étude du mécanisme causal ; la physiopathologie signifiant l’étude des modifications des grandes fonctions au cours des maladies, la sémiologie représentant l’étude de l’ensemble des signes apparents. L’action médicale est apparentée à ce qu’on nomme la clinique, opposée souvent à la para clinique qui correspond aux résultats des examens complémentaires, voire également aux actions médicales menées par des non médecins.

Face à la complexité croissante des techniques d’imagerie notamment, il s’est même développé une sémiologie des examens complémentaires.

L’action médicale est également symbolisée par le diagnostic, qui est l’identification de la maladie, ainsi que le diagnostic différentiel étant la description des maladies comportant des signes proches et qui peuvent être confondues.

Enfin, la thérapeutique ou le traitement des maladies a largement contribué à faire gagner la médecine en efficacité, tout comme le pronostic lui a fait gagner en crédibilité.

Tenter de caractériser la médecine sous un spectre particulier serait alors réducteur, et nécessiterait d’abord d’identifier à quel pan de la médecine on fait allusion, tant sont nombreuses les façons de l’exercer.

La médecine moderne, rappelons-le, requiert un enseignement en sciences fondamentales comme l’anatomie, la biologie médicale (discipline comprenant l’hématologie biologique, la biochimie, la biologie moléculaire, la génétique, la bactériologie, la virologie, la parasitologie), la biochimie, la biophysique, la physiologie humaine, l’histologie et l’embryologie.

Après cela, on exerce différents types de médecines qu’on classe par affection (comme la cancérologie ou l’allergologie), par organe (pour exemple la cardiologie ou la pneumologie), par type de patients (citons la gynécologie ou la pédiatrie), ou encore par type de traitement (médecine d’urgence ou alors la médecine esthétique).

Serait-ce réaliste de tenter de caractériser de façon uniforme cette médecine, qui s’est complexifiée avec le temps ?

On définit souvent la médecine comme un art, c’est à dire comme une activité s’adressant délibérément aux sens, aux émotions, aux intuitions et à l’intellect. Si l’art est le propre de l’humain en tant que découlant d’une intention, pourtant cette activité n’aurait pas de fonction pratique définie, ce qui semble réducteur voire dévalorisant pour la médecine. On considère ici le terme « art » par opposition à la nature « conçue comme puissance produisant sans réflexion » et à la science « conçue comme pure connaissance indépendante des applications ».

La différence entre l’artiste à proprement parler et l’artisan (que serait plutôt le médecin) viendrait de ce qu’on appelle « artiste » un artisan dont la production est d’une qualité exceptionnelle.

La médecine est-elle une science ?

Le mot science est un terme dérivé du latin scientia (qui signifie « connaissance ») et désigne l’ensemble des  connaissances et des études d’une valeur universelle, caractérisées par un objet et une  méthode, fondés sur des observations objectives, vérifiables, ainsi que des raisonnements rigoureux.

Claude Bernard disait : “La vérité scientifique sera toujours plus belle que les créations de notre imagination et que les illusions de notre ignorance.”

La médecine fondée sur les preuves (« evidence based medecine ») est dans cette mesure une science propre, quand bien même certains lui opposent de définir des vérités toutes relatives.

Non dogmatique, la science est ouverte à la critique et les connaissances scientifiques, ainsi que les méthodes, sont toujours ouvertes à la révision. De plus, les sciences ont pour but de comprendre les phénomènes et d’en tirer des prévisions justes et des applications fonctionnelles ; leurs résultats sont sans cesse confrontés à la réalité. Ces connaissances sont à la base de nombreux développements techniques ayant de forts impacts sur la société.

La médecine entre parfaitement dans cette définition de la science, dans plusieurs de ses dimensions d’exercice.

Comme disait le professeur Lucien Israel : « La médecine est une science des pannes, celles de l’organisme humain… Mais si le médecin est un dépanneur – rien de plus, rien de moins – il est le dépanneur d’une machine dont il ne possède pas les plans »

La médecine : une science humaine ?

En France, les « sciences humaines » désignent pour le plus grand nombre les études de psychologie et de sociologie.

Les sciences humaines et sociales (SHS) forment un ensemble de disciplines étudiant divers aspects de la réalité humaine sur le plan de l’individu et sur le plan collectif ; elles regroupent de nombreuses disciplines scientifiques qui cherchent à expliquer des phénomènes dont les explications ne relèvent pas de la biophysique, mais plutôt des influences, des faits sociaux, des autres ou de l’environnement sur les actions, comportements et attitudes humaines.

Leurs domaines de recherche sont nombreux, allant de la géographie, à la psychologie sociale, en passant par la linguistique, la démographie, l’histoire, l’anthropologie ou la sociologie.

Ortigues considère qu’en parlant des « sciences de l’homme », « le mot « homme » désigne un domaine intermédiaire entre, d’une part, les sciences naturelles (biologie) et, d’autre part, les sciences abstraites du raisonnement (logique, mathématique, philosophie)». Le domaine des « sciences humaines » a selon lui « un caractère social dans la mesure où il inclut l’acquisition d’un langage et d’une culture», et « les formes sociales sont des formes mixtes qui participent à la fois de la vie et de la pensée ».

La médecine est autant une science humaine qu’elle ne se (re)pense en permanence, d’où les définitions plurielles qu’on lui prête.

Les médecins face à l’incertitude ?

(échange avec Audrey Allain, Psychologue)

Les professionnels de santé sont en permanence convoqués sur la scène de l’incertitude, interrogés dans leurs savoirs (savoir-faire, savoir-être) et parfois renvoyés à leurs propres limites (limites de la vie, limites des savoirs, limites du sens, limites personnelles).

Ce bain d’incertitude peut engendrer un climat de tension pour tous, amenant chacun à des réactions défensives d’évitement, voire agressives, avec en arrière fond, la pression d’une société qui tolère de plus en plus mal les échecs thérapeutiques, passant ainsi d’un modèle médical paternaliste à un modèle anglo-saxon plus consumériste.

Le médecin doit savoir : savoir maîtriser avec certitude les connaissances, les techniques et les thérapeutiques, mettant en œuvre ce lien étroit entre « savoir » et « pouvoir » ; tout cela en devant savoir la meilleure manière d’être écouté et être entendu par chaque patient dans sa singularité et sa culture.

L’expansion des savoirs permet un recul de l’ignorance et un accroissement des connaissances ; pourtant la médecine est en permanence soumise au doute.

Dans un registre objectif, l’incertitude désigne le caractère de ce qui n’est pas assuré, l’imprévisible, le mal connu. Elle concerne avant tout le domaine de la connaissance, théorique ou pratique, dont elle souligne la limite (l’inconnaissable) et pointe le manque (l’inconnu).

Dans un registre subjectif, elle décrit l’état d’une personne qui doute et redoute, renvoyant du même coup à des affects comme l’angoisse, l’inquiétude, la crainte ou d’autres notions comme la fragilité et la précarité. La peur est souvent corrélée à une forme de ralentissement, d’inaction, lorsqu’elle manque, ou au contraire connue pour optimiser l’action, par mobilisation des ressources, lorsqu’elle s’accroît.

Les incertitudes auxquelles les médecins font face permettent de remettre en cause toute connaissance qui se veut absolue, dans le cadre d’un scepticisme positif. Être « sceptique », c’est admettre que tout jugement doit envisager la concurrence d’une infinité de perspectives différentes.

Emmanuel Kant disait : « On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter».

Cette incertitude, on peut s’y adapter, s’en accommoder, ou au contraire l’ignorer, la balayer comme une entrave à notre volonté de maîtrise, peut-être même à notre illusion d’immortalité ou de toute-puissance.

La médecine se nourrit et grandit de ses incertitudes.

L’accueil de l’incertitude en pratique est donc bien possible voire souhaitable, à condition qu’il n’y ait pas de position « intellectualiste » et toute-puissante du savoir du praticien pouvant exclure le patient de sa propre histoire, et une acceptation de ce même praticien à être interpellé dans sa personne, en contact avec sa propre vulnérabilité.

L’asymétrie de la relation médecin-patient doit donc en permanence se négocier a minima, pour que le soin puisse se dérouler et même augmenter le potentiel soignant. Cette négociation passe notamment par un accueil, une écoute active, une humilité, une disponibilité « de corps et d’esprit », un respect des subjectivités et une adaptation permanente, laissant une place au sujet malade afin d’éviter une prise de pouvoir malgré elles.

Plus que des qualités, il s’agit là d’une posture d’essence scientifique et éthique, les bases de ce que Carl Rogers nommait la « relation d’aide ».

L’incertitude reconnue ne doit pas s’inscrire dans un mouvement qui vise à disqualifier la démarche scientifique, mais comme un élément qui humanise les connaissances biomédicales parce qu’elle réintroduit l’humain et réintègre subjectivité et temporalité.

A une époque où l’on oppose différentes pratiques médicales entre elles et où l’on souhaite confronter des savoirs parfois contradictoires, il est bon de rappeler la richesse de notre médecine à multiples facettes. La diversité humaine des médecins incarne parfaitement ses différentes pratiques et enrichit les soins, plutôt qu’elle ne leur porte préjudice.

Puisse l’incertitude et le doute positif continuer d’habiter la médecine et les médecins, car comme disait Alphonse Karr : « L’incertitude est le pire de tous les maux jusqu’au moment où la réalité vient nous faire regretter l’incertitude».

Dr Alain Toledano Président de l’Institut Rafaël
Cancérologue Radiothérapeute
Président du conseil médical de l’Institut d’Oncologie des Hauts de Seine
Directeur médical de l’Institut de Radiochirurgie de Paris- Centre Hartmann

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