Wassily Kandinsky est l’un des pionniers les plus audacieux de l’abstraction. Comment en est-il venu à envisager l’abandon du sujet ? Le chemin a été long. En 1896, c’est le choc de la découverte d’une Meule, 1890, de Monet, aujourd’hui conservée à Zurich, Kunsthaus, dans une exposition d’art français à Moscou et de l’opéra de Wagner, Lohengrin, dont il fait part dans Regards sur le passé, publié en 1913 à Berlin par la maison d’édition Der Sturm : « L’art seul avait le pouvoir de me transporter hors du temps et de l’espace. Jamais le travail scientifique ne m’avait permis de connaître une expérience intime si profondément vécue, avec de pareilles tensions et de tels instants créateurs […] Deux événements marquèrent ma vie entière de leur sceau et me bouleversèrent alors jusqu’au plus profond de moi. Ce furent l’exposition des impressionnistes français à Moscou en premier lieu la « Meule de foin » de Monet- et une représentation de Wagner au théâtre : Lohengrin. Auparavant, je ne connaissais que l’art réaliste et encore exclusivement les Russes. Et soudain, pour la première fois, je voyais un tableau. Ce fut le catalogue qui m’apprit qu’il s’agissait d’une meule. J’étais incapable de la reconnaître. Et ne pas la reconnaître me fut pénible. Je trouvais également que le peintre n’avait pas le droit de peindre d’une façon aussi imprécise. Je sentais confusément que l’objet faisait défaut au tableau. Je remarquai avec étonnement et trouble que le tableau non seulement vous emportait mais encore imprimait à la conscience une marque indélébile, et qu’aux moments toujours les plus inattendus, on le voyait avec ses moindres détails, flotter devant ses yeux. Tout ceci était confus pour moi et je fus incapable de tirer les conclusions élémentaires de cette expérience. Mais ce qui m’était parfaitement clair, c’était la puissance insoupçonnée de la palette qui m’avait jusque-là été cachée et qui allait au-delà de tous mes rêves. La peinture en reçut une force et un éclat fabuleux. Mais inconsciemment aussi, l’objet en tant qu’élément indispensable au tableau en fut discrédité ». Kandinsky développe à Murnau, près de Munich, où il s’installe en 1896, ses théories de la thématique intérieure, du primat de l’imagination.
Wassily Kandinsky (1866-1944)
Improvisation XIV
1910
74×125, 5
Paris, Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, musée national d’art moderne
Dominique Dupuis-Labbé