« Les tableaux de Turner ne représentent pas tant les objets de la nature que l’atmosphère à travers laquelle on les voit…L’artiste se complaît à retourner au chaos originel, à ce moment où les eaux furent séparées des terres, où aucun animal ne rampait encore sur le sol et où aucune plante ne portait encore de fruit » écrivait le critique d’art et peintre William Hazlitt en 1814. Qu’aurait-il pensé de cette œuvre créée vers 1845, à un moment de la vie du peintre où il semble s’éloigner de la réalité au profit d’une notion essentiellement subjective de la perception. Turner perd la terre et l’eau dans le ciel, le monde dans un rayonnement de lumière. Il produit des combinaisons nouvelles de couleur dont se souviendra Claude Monet qui découvre Turner lors de son séjour à Londres en 1870. Turner emploie ici une palette très claire où prédominent les jaunes et les bleus violacés, tout en en nuances au point de s’interpénétrer et de donner à l’huile la légèreté de l’aquarelle. Si l’on distingue relativement bien les promontoires, il est plus difficile de cerner la silhouette d’un bateau. S’agit-il de la tache verticale bleue au loin, sur la gauche, ou de la masse dorée au premier plan qui métamorphoserait totalement une embarcation glissant sur l’eau ? Peu importe ! Cette œuvre qui s’inscrit dans une série de grands tableaux inachevés nous amène à reconsidérer la fine frontière entre le tangible et l’intangible, entre la réalité et le rêve, qui est le propre de l’aurore. Nous pouvons comparer cette toile au chef-d’œuvre de Claude Monet, qui a donné son nom à l’impressionnisme, Impression, soleil levant, Paris, musée Marmottan, peint en 1872 et exposé chez le photographe Nadar en 1874. La filiation est certaine mais Monet prend soin de rappeler la vie d’un port et l’activité des pêcheurs.
Joseph Mallord William TURNER (1775-1851)
Soleil levant, un bateau entre des promontoires
Vers 1845, huile sur toile
H. 91 ; L.122
Londres, Tate Britain
Dominique Dupuis-Labbé